Alors même que le champs des media studies ne parvient pas à le démontrer, il apparaît clairement que les individus sont influencés, d’une manière ou d’une autre, par les informations auxquelles ils sont exposés. Effets d’agenda, d’amorçage ou même effets cognitifs se font sentir dans de nombreux domaines. Ce n’est donc pas un hasard si de nombreux acteurs ont essayé d’obtenir la « domination informationnelle » (ou « information superiority ») sur un territoire ou une population, afin de pouvoir peser sur ses vues, ses idées, ses représentations… Pour les acteurs politiques, notamment, cette domination a été obtenue historiquement via le monopole de la diffusion des idées et des informations. Du crieur royal à la TV publique, en passant par toutes les formes de censure, le pouvoir politique s’assurait l’exclusivité de la diffusion des idées et des informations.

Aujourd’hui, on le sait, ce type de monopole s’est effondré un peu partout, et lorsqu’un pouvoir politique a la prétention de le maintenir (comme dans certains régimes autoritaires), les nouvelles technologies ne lui en laissent tout simplement pas l’occasion. De plus, de nombreux facteurs ont fait exploser le nombre de ceux qui peuvent désormais prétendre à participer à l’émission d’informations ou d’opinions. Contrairement à ce que certains journalistes semblent encore penser, leur métier (et son industrie) n’était pas fondé sur un monopole de l’expertise (que l’on aurait eu, de toutes façon, bien du mal à imaginer sortir des écoles de journalisme) mais sur un monopole de la diffusion. Celui-ci a pris fin, et tout un chacun peut diffuser vers le monde entier ses écrits, pensées, vidéos, créations…

Pour autant, face à cet environnement informationnel fragmenté, faut-il renoncer à exercer une forme de domination informationnelle ? Pas nécessairement. En effet, il n’est pas nécessaire que les Français n’entendent que vous toute la journée, sur tous les sujets, pour leur faire partager vos vues. En revanche, ils doivent vous entendre de façon significative (en terme de quantité mais surtout de qualité) sur les sujets qui vous concernent. Par exemple, une entreprise comme Areva peut dominer le champ informationnel sur le sujet bien circonscrit du nucléaire, à condition de faire partie des sources d’information incontournable sur le sujet. Il ne s’agit plus, bien entendu, de crier plus fort que les concurrents ou les adversaires, ni de parvenir à les faire taire : il s’agit de passer d’une approche en Push à une approche en Pull, où vous êtes lu (et cru) parce que la façon dont vous participez au débat en vaut le coup. De plus, cette approche en Pull nécessite de cibler et d’adresser différemment les différents publics de l’entreprise ou de l’institution.

C’est parce que mon avis sera le meilleur (en terme de qualité argumentative, de rédaction, d’inscription dans les codes de la communauté à laquelle il s’adresse, de visibilité, de légitimité…) que je pourrai peser dans le débat, et faire valoir mes intérêts : car alors la nature même du web et des usages actuels transformera mon opinion en un phénomène viral, en un « meme » incontournable, qui exercera le monopole de la présence à l’esprit et de la conviction.