Selon la majorité des observateurs de bonne foi, la présidence française de l’Union européenne a été un succès. Un bilan surprenant pour un pays qui depuis plusieurs années a l’impression de ne plus pouvoir maîtriser la conduite de l’Union européenne. Dans un article de 2009 paru dans la revue Politique étrangère, Emmanuel Auber et Xavier Desmaison analysent les raisons de ce succès paradoxal. Il est possible de les résumer en dix règles, qui constituent peut-être un vade mecum des bonnes pratiques en termes d’influence institutionnelle.

1. Etre rapide :

Le SGAE, la structure qui centralise pour la France la veille des évolutions européennes ainsi que les décisions et intérêts des différents ministères, ne s’avère pas toujours en mesure de définir un consensus entre ministères de façon assez réactive pour avoir un impact ensuite à Bruxelles. Il s’agit de veiller certes, mais aussi de pouvoir définir rapidement une position qui satisfait toutes les parties prenantes en interne. Il s’agit d’une question de structure et de procédure.

2. Agir en amont :

A l’échelle des institutions européennes, il est plus stratégique de chercher à mobiliser la Commission européenne très en amont d’un projet plutôt que de mettre en place des dispositifs de lobbying lourds et coûteux ensuite au Parlement et au Conseil européens. L’idée est de proposer ses idées sans attendre que les débats aient été largement cadrés par d’autres acteurs. Dit autrement, il faut investir dans le savoir quand il n’est pas immédiatement productif (et non plus quand on est acculé à la défense), car c’est là qu’il a davantage de valeur (les leviers sont bien plus puissants). Souvent, les organisations cèdent à la paresse et investissent insuffisamment dans la connaissance de la tempête qui vient.

3. Hiérarchiser les thèmes stratégiques

Dans un contexte de négociation comme l’Union européenne, un pays ne peut pas espérer atteindre tous ses objectifs. En réalité, il existe des thèmes importants et d’autres qui le sont moins, notamment pour maximiser l’effet de la circulation d’information et de l’enchaînement vers l’action. La veille consiste à rassembler toutes les informations disponibles (tendre vers l’exhaustivité) mais à mettre en place de sélection de cette information en fonction de l’interlocuteur. L’information doit être enrichie et orientée vers l’utilité opérationnelle.

4. Rassembler toutes les forces alliées potentielles.

L’un des leviers essentiels de l’influence est de pouvoir mobiliser de nombreux acteurs, qui vont démultiplier sa propre action. A l’échelle de l’Union, l’enjeu est de rassembler et mobiliser tous les Français influents à Bruxelles, notamment les eurodéputés, mais aussi les journalistes, les associations professionnelles, les entreprises, les think tanks. Dans le cas de l’influence française à Bruxelles, le premier enjeu est de disposer d’assez de forces alliées. Par exemple, en, 2007, le Conseil d’Etat a montré que la 5 cabinets d’avocats à Bruxelles étaient français, contre 28 britanniques, que la France ne disposait que de 9 associations professionnelles présentes contre 46 allemandes, ou de seulement 7 think tanks contre 23 allemands…

5. Créer un climat favorable.

C’est dans ce contexte de réception que tout message, favorable ou hostile, est reçu. Le contexte donne l’éclairage et permet à un message de se diffuser ou bien constitue un environnement qui le masque. L’image d’arrogance de la France ou son atmosphère de déclin dans les années 2005-2006 l’ont pénalisé dans certaines négociations.

6. Proposer des solutions (ses solutions) et ne pas s’arrêter aux problèmes ou aux questions

Il s’agit là de la qualité des messages à diffuser. Pour mobiliser, le message doit déjà être porteur d’action, d’une action « clé en main ». L’action de lobbying à l’échelle de l’Union permet de proposer des textes législatifs précis. D’autre part, dans un contexte de négociation complexe à 27 parties prenantes, celui qui est entendu est celui qui propose un message solide et utile. Les idées vagues disparaissent dans le bruit.

7. Disposer de structures prospectives

La France s’est dotée de structures de prospective consacrées au temps long, à l’anticipation des problèmes, au montage d’arguments et de dossier permettant de définir une stratégie : centre d’études stratégiques, cycle de hautes études européennes à l’ENA, etc. Les structures de formation et d’anticipation permettent de rassembler les idées et outils qui permettent ensuite d’agir rapidement et en amont.

8. Aller au contact de la cible ou de la scène à influencer.

La France doit être présente à Bruxelles. Comme le note Jean-Pierre Jouyet dans son bilan de la présidence française de l’Union en temps que secrétaire d’Etat, il y a « deux conceptions de ce métier, assez exclusives l’une de l’autre : faire de l’Europe en France, ou faire de la France en Europe […] nous souhaitons, à l’image des Anglais, être là où s’exerce l’influence et banaliser la présence française à Bruxelles. »

9. Identifier tous les axes de légitimité afin les développer ou de faire en sorte de diminuer les handicaps.

Dans les affaires européennes, la capacité d’un Etat à transposer rapidement les textes bruxellois évite peut lui donner la légitimité, le moment venu, pour emporter l’adhésion.

10. Mettre en tension le plus haut niveau en interne

La Présidence française de l’Union européenne a été pilotée au plus haut niveau de l’Etat français. Un dispositif d’influence efficace doit être lié aux décideurs, afin de répondre à l’exigence de rapidité, de cohérence, de rassemblement des alliés, de cohérence des thèmes, etc.